Cet article a été initialement publié par Jérôme Coulon, directeur régional de Zetes, CEDEAO / CEMAC, sur son LinkedIn.

Basé à Lomé, au Togo, Jérôme est le Directeur Régional CEDEAO/CEMAC de ZETES depuis 2014.
Son principal objectif est de pouvoir travailler avec les pays des deux Régions pour l’implémentation de leurs Registres de Population comme source authentique d’identité nationale, bâtie sur un état civil fort, centralisé, informatisé et aligné sur les standards internationaux.
 

Connaître son client. Voilà un défi auquel nos entreprises sont confrontées quotidiennement. Cependant, ce défi concerne également – et parfois même plus – nos autorités publiques. Si ce n’est qu’il convient évidemment de remplacer le terme « client » par « citoyen ». Un citoyen naît et meurt ; entre ces deux événements repères, il traverse de nombreuses phases de la vie et se transforme. À chaque phase, ses besoins et ses demandes sont distincts. Il appartient au gouvernement d’y répondre au mieux grâce à des politiques adaptées, ce qui n’est possible que si tous les événements qui jalonnent les phases de la vie du citoyen sont identifiés aussi précisément que possible et actualisés à chaque fois que c’est nécessaire. Autrement dit, il faut connaître son citoyen pour pouvoir lui garantir son identité, sa nationalité, ses droits civils et la jouissance des services sociaux auxquels il a droit.

 

Dans de trop nombreux pays, la quantité et la qualité des informations collectées par les autorités sur leurs propres citoyens s’avèrent insuffisantes ou celles-ci sont mal partagées. Cette situation a des explications et causes diverses mais aucune d’entre elles ne constitue un obstacle infranchissable. Ce qui est essentiel, en tant que gouvernement, c’est d’effectuer des investissements suffisants et de long terme pour la mise en place d’un bon écosystème d’identité au niveau national, accompagné des réformes législatives et administratives idoines. Mais par où commencer ?

 

Un état civil numérisé

D’abord et avant tout, il convient d’enregistrer de manière officielle les événements prioritaires, tels que les naissances, les décès, les mariages et les divorces, et les conserver dans une base de données centralisée : le registre d’état civil. Celui-ci constitue le cœur battant de tout écosystème d’identité. Mais si celui-ci n’était par le passé encore qu’un cœur en papier, le registre d’état civil s’informatise aujourd’hui de manière croissante. Et c’est là que le bât blesse dans de nombreux pays : les autorités ne se sont pas encore, ou pas suffisamment, engagées sur la nécessaire voie de la numérisation de leur état civil.

La bonne nouvelle, c’est que les premiers pas sur cette voie peuvent être modestes. En installant des PC équipés d’un applicatif minimum de gestion des faits d’état civil dans les différents centres d’état civil, par exemple. Ne fût-ce que pour l’enregistrement numérique des naissances, qui constituent le point de départ idéal d’un écosystème d’identité (Assemblée générale des Nations Unies, septembre 2015, Objectifs de Développement Durable, ODD 16.9). D’autant plus qu’en agissant de la sorte, on peut aussi attribuer directement une identité légale à ce nouveau citoyen, qui vient tout juste d’être mis au monde. Cette identité sera idéalement fondée sur un numéro d’identification unique qui servira, dans le futur, de clé d’identification du citoyen lors des échanges de données entre les différents systèmes d’informations des divers départements et/ou ministères du gouvernement.
 

Approche architecturale

Un état civil informatisé est la première composante de fondation des écosystèmes d’identité destinés à participer à l’amélioration de l’efficacité de la gouvernance. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, pour accorder une aide sociale, les organismes compétents devraient, en premier lieu, s’assurer que le requérant est encore en vie. Cette information connue de l’état civil doit être, d’une manière ou d’une autre, rendue accessible en lecture seule aux organismes publics ou privés fournissant des services aux citoyens et qui en auraient besoin. Dans le cadre de la pandémie actuelle de Covid-19, de trop nombreuses aides ont été distribuées à des personnes décédées alors que d’autres citoyens, bien vivants, n’ont pas pu en bénéficier faute d’identité légale. Un écosystème national d’identité intégré et numérisé, prenant en compte les données disponibles auprès de tous les systèmes d’information sectoriels, y compris le registre d’Etat Civil, aurait permis une réponse rapide et ciblée vers les populations les plus nécessiteuses.

De ce point de vue, un gouvernement diffère peu d’une grande entreprise avec divers départements. Pour fonctionner correctement, tous ces départements doivent aussi pouvoir accéder à certaines informations, notamment celles concernant les clients, les fournisseurs, le personnel, etc. Toutes ces informations se trouvent également disponibles de manière centralisée dans leurs systèmes d’information d’entreprise connectés (ERP, CRM, etc.). De la même façon, les États doivent pouvoir développer une architecture centrale d’information et de communication. Ceci ne doit pas seulement permettre l’accès à des données publiques sur le citoyen, dont certaines émanent de l’état civil, mais également faciliter la communication entre tous les systèmes d’information des organismes publics ou privés habilités. En résumé, cela veut dire que pour connecter les différents systèmes d'information des acteurs devant intervenir au niveau de l’écosystème d’identité, ceux-ci doivent être informatisés au préalable. Sans informatisation, pas d’interopérabilité possible.

 

Le registre de population en tant que tableau de bord

Une fois que le gouvernement a finalisé avec succès l’interconnexion des systèmes d’information sectoriels, essentielle à la mise en place d’un écosystème d’identité, il est prêt pour l’étape suivante : la création d’un registre de population. Celui-ci servira, en quelque sorte, de tableau de bord à cet écosystème national d’identité. Outre les données récupérées au niveau de l’état civil (situation maritale, de décès, de ménage, etc.), le registre de population permettra aussi d’accéder à d’autres données, qu’il ira chercher dans divers systèmes d’information sectoriels. Chacun de ces derniers est géré par un département d’Etat et contient des informations relatives aux citoyens propres aux compétences spécifiques de ce département. Le ministère de la sécurité en charge des contrôles aux frontières est, par exemple, capable de communiquer des informations sur les étrangers qui séjournent dans le pays ou qui le quittent ainsi que sur les nationaux qui partent s’établir à l’étranger ou qui en reviennent. Cette dernière information peut, par exemple, également émaner du ministère des affaires étrangères. D’autres informations peuvent venir compléter la fiche d’identité d’un individu dans le registre de population : le ministère du transport pourra informer sur la détention ou non d’un permis de conduire, le ministère de l’emploi et du travail pourra communiquer des données relatives à la situation professionnelle et le ministère de la justice pourra, le cas échéant, transmettre des informations sur les antécédents judiciaires. Ceci ne sont que quelques exemples visant à démontrer que le registre de population est le produit d’un processus continu d’actualisation à partir d’événements enregistrés initialement dans divers systèmes d’information thématiques. De cette façon, on peut disposer de données toujours actualisées sur les individus, émanant des sources authentiques d’information et sans création de doublons.

A côté de cet aperçu continu d’informations personnelles concernant chaque membre individuel de la population, un tel registre offre également une vue sur la population dans sa globalité. Les statistiques démographiques offrent aux autorités une visibilité inestimable sur la taille et la composition de leur population. Ce n’est que de cette façon qu’elles apprennent réellement à la connaître. La boucle est ainsi bouclée car c’est précisément cette connaissance démographique qui permet d’utiliser le registre de population non seulement à des fins administratives mais également de gestion. Cela permet notamment de mieux élaborer les budgets sur base des ressources publiques disponibles, en fonction des besoins les plus réels, les plus importants ou les plus urgents de la collectivité. Le registre de population participe également à la réalisation des systèmes de protection sociale, des systèmes de vote, des politiques d’éducation publique, la recherche par la police et les tribunaux, etc.

En résumé, un registre de population est le tableau de bord indispensable à la planification socioéconomique et à la prise de décisions éclairées par l’Etat.

 

Le Registre National des Personnes Physiques comme point de départ

Sous l’impulsion du programme ID4D de la Banque Mondiale, la plupart des pays opte pour la création d’un Registre Nationale des Personnes Physiques (RNPP) comme point de départ de cet écosystème d’identité. En effet, même en commençant rapidement à informatiser les centres d’état civil, depuis toujours, la question de l’état civil a été complexe et difficile à faire évoluer. En revanche, la constitution d’un registre national des personnes physiques, dont l’objectif serait centré sur l’attribution, à chaque résident, d’une identité légale, numérique et unique, le rendant ainsi légitime vis-à-vis de l’état et, surtout, lui donnant rapidement accès à toute une série de programmes et politiques publics d’accompagnement, cette opération s’avère plus facile à mettre en œuvre que l’informatisation de l’état civil. De ce fait, faire du registre national des personnes physiques la première pierre sur le chemin d’un écosystème national d’identité fiable, suivie de prêt, voire concomitamment, par l’informatisation du système de gestion des faits d’états civils et des autres systèmes d’informations sectoriels, pour finalement arriver au registre de population, tableau de bord de l’identité nationale, tel que présenté ci-dessus, peut s’avérer une démarche pragmatique.

 

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Au coeur du registre de population

Enjeux, analyse et approche 44 pages

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